Association du tank de Flesquières

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Josef Engling

Table des matières

Josef Engling

Extrait du livre de René Lejeune: Joseph ENGLING et la spiritualité de Schönstatt Éditions du Parvis – 1992

… La fortune des armes abandonne définitivement le haut commandement allemand. Sous les ordres du général Pershing, une vingtaine de divisions américaines sont jetées dans la bataille. Les tanks du général britannique Rawlinson infligent de lourdes pertes aux blindés allemands. Le 8 août 1918 commence à sonner le glas ; c’est le  » jour de deuil de l’année allemande  » . Pour la première fois, les soldats allemands se rendent par milliers sans se battre. La contre-offensive alliée de caractère d’abord local, à Villers-Cotterêts, le 18 juillet, se déploie progressivement en août sur l’ensemble de la Picardie, puis de la Meuse à la mer, en septembre. Les Allemands sont obligés de battre en retraite sur une ligne allant de Gand à Sedan, en passant par Cambrai. C’est là que nous retrouvons Joseph Engling.
 

Le désarroi

Joseph arrive le 31juillet à Bois-Bernard. Il y est au repos jusqu’au 7 août. Il apprend que son ami Clemens Meier est définitivement handicapé par ses blessures, au point qu’il s’interroge sur sa vocation… Le 8 août, le bataillon de Joseph retourne en première ligne, à l’ouest de Douai, entre Bois-Bernard et Fresnoy. Lui-même est de nouveau dans un poste d’observation, sous les ordres de son ami Edmond Kampe. À travers les lunettes à ciseaux, il cherche à savoir ce qui se trame du côté anglais. Une activité intense s’y déploie. On doit en conclure qu’une offensive se prépare. L’initiative est désormais passée de l’autre côté. Les unités allemandes, décimées par les combats meurtriers du printemps et de l’été, n’ont pas été reconstituées. Les régiments sont réduits jusqu’à ne plus compter qu’un quart des effectifs normaux. En face, l’ennemi amène des troupes fraîches. Quatre divisions canadiennes viennent d’y prendre position. Pour l’ensemble du front de guerre occidental, ce sont en tout 3 millions de soldats allemands opposés à 6 millions de soldats alliés. On apprend qu’en Allemagne même, le désarroi commence à prendre des formes de contestation, de sourde révolte. Tout cela se répercute sur le moral des soldats du front. Un climat de crise s’insinue dans les consciences. La gigantesque machine de guerre ne tourne plus que par l’effet de la vitesse acquise. Le 17 août, Joseph est nommé chef de section d’une unité d’observation. Avec un subordonné, il se rend à son nouveau poste, à l’aile droite du front local. Le soldat qui l’accompagne est d’une humeur massacrante, il peste contre « les singes » de l’état-major planqués à l’arrière. Il tient des propos subversifs. Il est soldat depuis six ans. La mesure est pleine. Si ceux-là, là-haut, ne mettent pas fin à toutes ces conneries, lui-même prendra sur lui d’en finir. Il fait allusion à la désertion. Joseph écoute son camarade. Il le calme. Il ne saurait l’approuver. Son sens du devoir est trop grand pour que des idées semblables puissent simplement l’effleurer. Ce n’est pas la première fois qu’il entend de tels propos. Dans la troupe, devant l’échec des offensives successives, à l’arrière, pendant la permission, les réflexions trahissaient le plus souvent la lassitude et le désir d’en finir. En ce mois d’août 1918, personne ne croit plus à une victoire militaire. L’armée allemande se bat dans le cratère d’un volcan. Joseph agite dans son esprit des pensées douloureuses et étranges pour ce garçon du Ermland prussien: « Je ne me déroberai pas à mon devoir. Je me battrai et souffrirai les tâches accablantes. Je ne suis plus tout à fait convaincu de la vérité d’une conception idéale de la patrie « Et néanmoins je ne me soustrairai pas à mon devoir… Je ne suis pas convaincu de la prééminence de la patrie, il se peut qu’il en soit ainsi, mais dans mon esprit, tout cela n’est pas clair » …

… À ce moment-là Joseph exerce la responsabilité des postes d’observation de son secteur. Edmond Kampe a été rappelé en Allemagne pour y suivre un cours d’officier. Joseph lui a succédé dans sa fonction au front. Ce détail montre à quel point les réserves fondent et les responsabilités se diluent dans les échelons inférieurs. « J’ai maintenant trois hommes sous mes ordres. Je m’aperçois ce que cela signifie d’être un très bon chef. Il est déjà difficile de satisfaire entièrement ce petit nombre, a fortiori toute une compagnie !  » Depuis un mois, une activité intense du côté anglais fait suspecter aux unités d’observation réparties dans les premières lignes le déclenchement prochain d’une offensive, du côté de la hauteur de Vimy. Le réseau des tranchées est devenu l’univers familier des combattants : « Notre secteur ressemble à des villages avec leurs rues. Chaque boyau est un village ou une ville. La tranchée elle-même en est la rue, les abris en sont les maisons. Les boyaux de liaison qui relient les tranchées entre elles en sont les routes de campagne. Dans un secteur comme le nôtre, on se perd plus facilement qu’en rase campagne, bien qu’il y ait des panneaux indicateurs.

Dans la perfection que donne la présence de Dieu, Joseph Engling avance vers sa fin, dans le dramatique face-à-face avec les horreurs de la guerre. Ce qu’il voit depuis son poste d’observation, ce 1er octobre 1918, lui fait suspecter que l’attaque des Anglais est imminente. Deux ou trois jours tout au plus. Joseph ne se trompe pas. L’offensive se produit le surlendemain. Mais à ce moment-là, il ne sera plus dans ce secteur (Vimy).

Sur le chemin de Cambrai

Le 1er octobre, à la tombée de la nuit, le 25e régiment d’infanterie de réserve reçoit l’ordre de décrocher vers l’arrière. Ce repli ne dit rien qui vaille aux troupes concernées. N’ayant pas été, depuis des semaines, engagées dans des batailles, elles sont considérées comme des unités fraîches. On va sûrement les déplacer vers un secteur en feu. Il n’en manque pas. Depuis deux semaines, la bataille fait rage sur la majeure partie du front occidental. Près d’Ypres, les alliés ont réussi une percée. Le long de la Lys, où Joseph a été précédemment en poste, ils ont reconquis un espace que la 15ème division allemande de réserve avait tenu au prix de lourdes pertes, deux mois auparavant. Ce 1er octobre, Saint-Quentin est tombé entre leurs mains. Le front allemand est ébranlé. Il y a risque de dislocation. Pour parer au plus pressé, le haut commandement déplace les unités de réserve suivant l’ampleur et l’urgence du danger. C’est ainsi qu’au nord de Cambrai, les Anglais ont enfoncé la ligne allemande. C’est là qu’il faut jeter des réserves pour colmater la brèche. Le 25e régiment d’infanterie de réserve sert à cette manœuvre d’urgence. Il a marché jusqu’à Flers. Là, des camions ont transporté les soldats à la gare de Pont-de-la-Deule. Puis le train s’ébranle en direction du sud-est. Tout cela s’est fait dans la précipitation. Le danger auquel ils auront à faire face doit être extrême.

C’est au nord de Cambrai que le régiment aboutit. L’armée Anglaise a lancé une offensive en tenaille à l’est et à l’ouest de la ville. Elle avance en direction de Sailly-Eswars, esquissant une opération d’enveloppement de Cambrai par le nord. Ce danger amène le commandement allemand à contre-attaquer. Fin septembre, une division wurtembergeoise est lancée dans la bataille ; elle repousse les Anglais jusqu’à la ligne de chemin de fer Douai-Cambrai.

Au prix de lourdes pertes. C’est cette division décimée et à bout de souffle qu’il s’agit de renforcer. La 15e division de réserve se voit assigner ce rôle.

Le train transportant le 25e régiment d’infanterie, dont Joseph Engling fait partie, s’arrête à Bouchain, à une quinzaine de kilomètres au nord de Cambrai. Il y prend ses quartiers. La ville est dans un triste état. Presque chaque nuit, elle est bombardée. Au milieu de leur seconde nuit à Bouchain retentit l’ordre du départ. Le régiment avance lourdement chargé dans l’obscurité sur la route de Cambrai. À Thun-l’Evêque, il oblique à l’ouest vers Eswars et prend position entre ce village et Bantigny. La troupe est affamée et fourbue. Le moral est au plus bas sous les incessantes canonnades et les bombardements aériens.

 

La 4e compagnie — celle de Joseph — est envoyée en position au nord-ouest d’Eswars, à proximité immédiate du village. Elle y arrive à 6 heures du matin. Joseph Engling est parvenu au jour et au lieu de sa mort, ce vendredi 4 octobre 1918. Dans la lumière matinale, il sort fidèlement son journal intime : « A Eswars près de Cambrai. C’était rapide, cette fois-ci, la relève. Le soir du 1er octobre, l’avant-garde de troupes de choc d’un nouveau régiment se présente soudain. Le lendemain soir, nous sortons de là et marchons pendant 4 heures jusqu’à Flers… Nous voici en position, prêts au combat, tandis que le tommy envoie sans cesse ses obus à proximité. À 50 mètres de moi, il y a un cimetière militaire ainsi que le vieux champ des morts où plusieurs tombes déjà creusées nous attendent. Mais nous n’en sommes pas encore là. Aujourd’hui, je jeûne involontairement. La compagnie chargée de notre ordinaire n’a reçu que deux rations pour nous. À cause du déplacement, on n’a pas encore pu corriger cette erreur. C’est pour cela qu’aujourd’hui aucun de nous n’a quelque chose à manger. La roulante vient seulement ce soir. »

L’écriture est exceptionnellement inégale. Joseph a écrit ces mots dans un inconfort total et une situation des plus précaires. Sur ces mots s’achève le journal de Joseph Engling. Il le tient depuis l’âge de 12 ans. Au fil des années, c’est devenu un émouvant témoin d’une prodigieuse ascension spirituelle. Joseph a vingt ans. Il n’a plus que quelques heures à vivre.

Frappé en plein cœur

Au cours de l’après-midi, Joseph peut encore rendre visite à Paul Reinhold, un membre de son groupe schonstattien, qui se trouve tout près de là. Ils ont un long échange. Paul Reinhold trouve son ami songeur, un voile mélancolique semble couvrir son regard et ses paroles. Quand ils se séparent, ce sera pour toujours. Joseph Mehl, un autre de ses amis présents à Eswars, peut, lui aussi, passer quelques instants avec Joseph. Celui-ci lui montre le cimetière où l’on a creusé des tombes : « On m’a préparé ma tombe là-bas », dit-il. Joseph Mehl lui réplique : « Tu es fou, je n’en crois rien. » Alors Joseph Engling tient un propos bouleversant, prémonitoire : « Cette nuit, la Mère de Dieu acceptera mon sacrifice. » Puis on l’appela. Il revint et dit : « Je dois rejoindre l’avant-garde de la troupe de choc. »

Paul Reinhold sera fait prisonnier par les Anglais près de Le Cateau. Il disparaîtra en captivité sans laisser de trace. La dernière personne à l’avoir vu est Joseph Mehl. Le prisonnier était à l’arrière d’un camion anglais, le bras en écharpe.

« Il savait que le lendemain je partirais en permission. Il prit une feuille de papier, y écrivit quelques mots et me la remit en disant : “Quand je serai tombé, fais part de ma mort à cette adresse.” Puis il me tendit la main, me regarda droit dans les yeux et dit : “Bon retour à la maison. Donne suite, je t’en prie, à mon désir. La petite Mère est chez moi. Je suis prêt. Tout est en ordre !” Un dernier sourire, et les deux amis se quittent.

La faim tenaille Joseph. De l’autre côté de la rue il y a un champ dont les pommes de terre viennent d’être récoltées. Il y ramasse encore une écuelle pleine de minuscules patates. Il fait du feu sous le hangar de la ferme voisine et y cuit sa petite récolte. L’eau a à peine commencé à frémir qu’on l’appelle. Son camarade Nicolas Gilgenbach lui apprend qu’ils doivent immédiatement partir en avant-garde d’une troupe de choc. Joseph se prépare à la hâte. Les pommes de terre ne sont pas encore cuites. Qu’importe, il les enlève du feu et les croque à moitié crues. Et il se met en route avec le petit groupe. « Une fois encore, j’ai pu manger à ma faim. Peut-être est-ce la dernière fois », dit-il, tout en marchant, à Nicolas Gilgenbach. Il poursuit, avec un étrange pressentiment : « Si je ne devais pas revenir, je te dis au revoir. Si ce n’est en ce monde, ce sera dans l’au-delà. Si à l’occasion te revois Edmond Kampe, transmets-lui une dernière salutation de ma part. »

Nicolas jette un regard interrogateur sur son camarade. Ce ton n’est pas du tout habituel chez lui. « Nous sommes si souvent montés en première ligne et rien ne nous est arrivé », dit-il. Joseph esquisse un sourire : « On a toujours un léger pressentiment. J’ai une impression que je ne sais définir. Enfin, comme Dieu le veut. Que sa volonté se fasse. » Joseph serre la main de son camarade, puis se hâte à la suite de la petite troupe qui compte huit hommes en tout.

C’est la fin de l’après-midi, au crépuscule. L’artillerie anglaise tire sur les quartiers. Et aussi sur la campagne à l’entour. Joseph et ses camarades rejoignent Thun-Saint-Martin. De là ils doivent obliquer en direction de Cambrai. Le carrefour, non loin d’eux, où la route de Thun rejoint la grand-route de Cambrai, est plus particulièrement la cible des tirs d’artillerie. La petite troupe tient à éviter cette embûche. À quelque 200 m du carrefour, elle s’engage dans les champs et se couche contre un talus en attendant que les tirs se calment. Une pause intervenant, les soldats reprennent leur marche à travers champs en se séparant en deux groupes.

C’est alors que survient l’instant fatal. Un sifflement d’obus. La salve frappe le carrefour. Un obus tombe en retrait. On dirait qu’ils sont visés. Qu’il est visé… Des éclats d’obus l’atteignent en plein front et en plein cœur. Il est tué sur-le-champ. Joseph Engling est l’unique victime de la petite troupe. Le Ciel vient d’accepter son sacrifice librement consenti. Le lendemain matin seulement, alors qu’ils sont de retour à Eswars, après avoir erré toute la nuit à travers les champs, les compagnons de Joseph peuvent annoncer sa mort. En l’apprenant, Nicolas Gilgenbach murmure : « O cet aimable Engling! C’était un camarade fidèle et craignant Dieu. » Ce même jour, le corps est enterré. Probablement dans l’un des trous d’obus qui parsèment le champ de la mort. La situation, confuse dans ce secteur du front, ne permet pas son transport jusqu’au cimetière militaire, non loin de là. Comme on le fait d’habitude, les objets personnels trouvés sur le corps sont envoyés aux parents…

Son exemple

Le 21 octobre 1918 arrive à Prossitten le pli noir tant redouté par les familles. Il est daté du 10 octobre. Le père l’ouvre en tremblant. Le papier est à en-tête de la 4e compagnie du 25e régiment de la 15e division d’infanterie de réserve : « La compagnie accomplit le triste devoir de vous faire part de la nouvelle que votre fils, le mousquetaire Joseph Engling, est tombé au champ d’honneur, le 4 octobre 1918, au crépuscule. La compagnie pleure la perte de ce brave camarade ; elle le gardera toujours dans son souvenir. Signé : Kurt, sous-lieutenant de réserve et chef de compagnie.

Le 7 octobre, Paul Reinhold écrit au Père Kentenich : …  » La mort l’a terrassé soudainement sans qu’un prêtre fût présent. Je suis cependant persuadé qu’il a quitté cette vie en état de grâce. La Mère de Dieu bien-aimée, en faveur de qui il a tant œuvré sur le front, l’a appelé auprès d’elle. Depuis que notre groupe a choisi le thème de l’apostolat, Joseph était particulièrement actif dans ce domaine, par la parole et l’écrit, mais c’est surtout par son exemple lumineux qu’il cherchait à faire le bien. Il aidait toujours l’aumônier de la division, il annonçait les services religieux dans la compagnie, ornait l’autel, servait la messe, etc… La mesure dont il s’est fait aimer par ses camarades, par sa disponibilité et son amabilité, éclata quand on apprit sa mort. Chacun fit l’éloge de ce bon camarade si fidèle au devoir…

Le monument

En 1958, un monument fut érigé à gauche de la route Iwuy-Cambrai, face à l’endroit où Joseph Engling est tombé, dans le champ, de l’autre côté de la route. En 1965, une communauté schönstattienne de Sœurs de Marie s’est installée à peu de distance du monument. Tout en servant la population aux alentours, elle s’attache à maintenir vivante dans le Cambrésis, en France, en Allemagne et au-delà, la mémoire d’un mouvement spirituelle important perpétué par Josef Engling.

Enquête concernant la disparition de Joseph Engling

Concernant le 25ème Régiment d’Infanterie

Les archives indiquent que le 25ème Régiment d’Infanterie a été séparé en deux et a été versé à la 15ème et la 208ème Division d’Infanterie. La lecture du livre de René Lejeune précise bien que Joseph Engling a servi sur le front de l’Est avec la 15ème Division d’Infanterie. Pendant ce temps, et particulièrement le 30 /11/1917, l’autre partie du régiment a perdu beaucoup d’hommes lors de la contre-attaque de la Bataille de Cambrai. Il apparaît donc que Joseph Engling a du être reversé à la 208ème Division d’Infanterie lorsqu’il est revenu sur le front ouest et que son régiment était entre le 19/9/1918 et le 8/10/18 sur le front de Cambrai, puis du 24/10 au 4/11 à Valenciennes, ayant reculé sous la pression de l’offensive Canadienne.

Les circonstances de sa mort et de son inhumation

Les Canadiens étaient positionnés de l’autre côté du canal. Joseph Engling a sans doute été tué par un tir d’artillerie visant la Nationale de Cambrai à Iwuy, qui visait à enrayer la retraite des Allemands. Joseph Engling ayant été tué le 4 octobre, il est probable que ses compatriotes, s’ils n’ont pu le faire le même jour, ont pu récupérer son corps le lendemain. Il est le seul tué et ne se trouve pas dans le no’man land. (voir également p. 104 du livre de René Lejeune où Engling raconte la manière dont il va récupérer le corps d’un compatriote). Joseph Engling cite également la proximité d’un petit cimetière militaire et des tombes pré-creusées. La situation n’est pas confuse au point d’enterrer le corps dans un trou d’obus. On peut penser qu’il ait été inhumé à Thun St Martin mais nous ne possédons pas actuellement de cartes d’époque mentionnant la position des cimetières provisoires de l’époque. On pourrait penser que ce soit à proximité d’un cimetière britannique. Ces derniers privilégiant le fait que leurs combattants devaient en principe êtres inhumés au plus près de l’endroit où ils sont tombés, ont parfois utilisé le terrain laissé libre après le transfert des corps Allemands dans les cimetières de regroupement. Ici, cela semble peu probable car le cimetière britannique le plus proche se trouve à Ramillies, en direction du front par rapport à l’endroit où il a été tué. Vers l’arrière et le plus proche (d’autant plus que des tombes étaient pré-creusées) semble le plus logique et le plus probable et Iwuy semble trop éloigné.

La confusion

On peut donc raisonnablement penser que Joseph Engling a pu être inhumé provisoirement dans un petit cimetière de Thun l’Evêque – Thun Saint-Martin, cimetière qui a disparu. C’est justement parce qu’il était inhumé avec d’autres que l’emplacement de la sépulture a pu être perdue. Son nom a pu être porté sur la tombe de façon sommaire car il est vrai que le 5 octobre, la situation devient de plus en plus préoccupante et que les soldats ont aussi d’autres priorités défensives. La tombe n’a du être marquée qu’à l’aide du casque sur une croix ou un morceau de bois comme cela ce faisait souvent, voire même le casque posé à même le sol avec le nom écrit dessus. C’est peut-être un bombardement d’artillerie lors de l’offensive finale du 9 octobre qui sera l’origine de la perte de l’emplacement exact, de même que les allées et venues des Britanniques a pu également amener un certain désordre dans le cimetière. Le temps a peut-être aussi fait son œuvre car les exhumations pour le regroupement au cimetière de la route de Solesmes s’est peut-être effectué quelques années après.

L’organisation des cimetières

Il faut aussi savoir que sitôt l’armistice, les Allemands n’ayant plus le droit de séjourner en France, ce sont les Français qui ont la charge d’organiser les cimetières et de procéder au regroupement des corps. Les travaux dureront de 1919 à 1924. Les Britanniques travaillent également à l’inhumation des corps et créent leur cimetière de la route de Solesmes dédié aux combattants de la libération de Cambrai, cimetière qui n’a rien à voir avec le carré britannique au centre où sont enterrés des prisonniers de guerre. C’est ainsi que sont ramenés ensuite route de Solesmes les corps des militaires inhumés dans les villages environnants ou retrouvés lors des travaux de déblaiement. Il est donc plus que certain que les corps allemands inhumés dans ce petit cimetière provisoire du côté de Thun St-Martin/Eswars ont finalement été exhumés et ramenés à Cambrai.
L’ossuaire du cimetière de la route de Solesmes
À chaque fois qu’un doute subsistait quant à l’identité formelle du soldat, les responsables ont été amenés à les placer dans l’ossuaire et non pas dans des tombes individuelles. Seules 439 identités de soldats inhumés dans l’ossuaire sont connues (16%), ce qui est peu par rapport aux 2.746 corps qui y reposent. Joseph Engling a dû correspondre à ce cas de figure. On avait la preuve de la présence de son corps à cet endroit sans la certitude de savoir si les restes étaient bien les siens. De ce fait, il ne pouvait être question de sépulture individuelle. C’est ainsi qu’il fut placé dans l’ossuaire avec ses compagnons d’infortune et son nom gravé sur la plaque.

L’erreur de date de décès

On peut penser qu’au cimetière de Thun St-Martin/Eswars, le nom était donc encore quelque part lisible mais la date du décès, si elle avait été portée, avait disparu ce qui amena une autre confusion par la suite. Un ou plusieurs soldats prisonniers ou gravement blessés ont sans doute succombé à leurs blessures après la date de la fin des hostilités (de même, beaucoup de Britanniques de la route de Solesmes sont morts en 1919) et ont peut-être été inhumés également à cet endroit. Cela pourrait expliquer la date du 1er décembre 1918 reportée sur l’ossuaire ce qui, dans la confusion, ne peut relever que d’une simple erreur administrative. Il faut également se remettre dans le contexte de l’époque. Les Français se retrouvent avec une charge énorme de travail et ont à gérer l’inhumation de leurs ennemis d’hier contre qui ils ont encore beaucoup de griefs. 

À noter par contre que le site du Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge indique bien le décès de Joseph Engling le 4 octobre 1918. Côté Allemand, il reste donc la trace exacte de l’enregistrement de ce décès.
Soldats « inconnus » en tombes individuelles et soldats « inconnus » en ossuaire
On peut expliquer le fait que certains soldats « inconnus » soient inhumés dans des tombes individuelles par le fait qu’ils ont été inhumés par les Allemands entre 1917 (date d’ouverture du cimetière) et octobre 1918, ainsi que le prévoyaient les directives imposées. Celle-ci ordonnait une tombe individuelle pour chaque soldat. C’est justement à cause de cette directive que fut créé le cimetière de la route de Solesmes, celui de la Porte de Paris se révélant vite trop petit. La solution des fosses communes était jugée également non-satisfaisantes compte tenu des égards dus aux morts. L’ossuaire de la route de Solesmes est donc postérieur au conflit. Pour preuve, il ne figure pas sur le plan de 1917.

Archives Municipales

Enfin, côté archives municipales, le service des cimetières est en possession des listes dressées à l’époque, reprenant les noms, prénoms, date de décès, régiment et n° de sépulture des soldats identifiés, listings où évidemment le nom de Joseph Engling n’apparaît pas. 



Philippe Lafarge